22/12/2018
Des Traits sur le sable N° 81
Il est difficile de ne pas parler des événements qui ont secoué la France depuis plusieurs semaines, même si ce n’est pas là la vocation du Sablier. Nous en parlerons donc, à notre manière, à la manière du Sablier, qui est de toujours donner des paroles à accueillir, essayer encore et toujours de transmettre, partager, faire partager des paroles de vie.
En ces temps dramatiques, les paroles d’Etty Hillesum, (eh oui, encore et toujours Etty !), résonnent une fois de plus pour qui accepte de les entendre :
Notre unique obligation morale, c’est de défricher en nous-mêmes de vastes clairières de paix et les étendre de proche en proche, jusqu’à ce que cette paix irradie vers les autres. Et plus il y a de paix dans les êtres, plus il y en aura aussi dans ce monde en ébullition.
En moi un immense silence, qui ne cesse de croître. Tout autour, un flux de paroles qui vous épuisent parce qu’elles n’expriment rien. Il faut être toujours plus économe de paroles insignifiantes pour trouver les quelques mots dont on a besoin. Le silence doit nourrir de nouvelles possibilités d’expression. Il faut si peu de mots pour dire les quelques grandes choses qui comptent dans la vie. Je voudrais tracer ces quelques mots au pinceau, sur un grand fond de silence.
Et nous, comment parlerons-nous donc de ce qui a secoué si violemment notre pays ?
Simplement en citant quelques passages d’un spectacle présenté voici quelques années par le Sablier à Paris et au Festival d’Avignon, Saint Louis et les cahiers du Président.
Voici donc un extrait des paroles que Saint Louis adressait au Président de la république nouvellement élu, dans ce qui n’était qu’une comédie sans prétention militante :
Ton pouvoir aujourd'hui n'est pas le pouvoir que j'ai eu moi lorsque j'ai dirigé la France. Les réseaux inextricables d’interdépendance à l’infini des uns et des autres ne sont peut-être pas une mauvaise chose finalement, elles rendent plus difficile l’arrivée d’un nouveau tyran. Mais la montée de puissances financières devenues folles et pour une grande partie occultes et criminelles dans des proportions que la planète n'avait jamais connues plonge à nouveau une foule toujours plus nombreuse dans la misère, et de cet incroyable retour en arrière peut jaillir une autre révolution, terrible, barbare, qui ramènerait la victoire des ténèbres pour quelques décennies encore... Ah mon Jeannot. Mais toi tu es Président de la France.
Ce que tu peux faire, ce que tu as le devoir de faire, je vais te le dire : cherche la justice, encore, toujours. La justice, Jean, la justice. SI tu cherches la justice, si tu mets toute ton énergie, toute ton intelligence, toute ta force, dans la recherche et l'exercice de la justice, tu désamorceras la violence, la haine, tu désamorceras les enchainements de causes et d'effets qui génèrent les situations ingérables, même pour un président, même pour un roi, même pour un empereur, même pour un pape.
Cherche la justice, Jean. La justice.
Je réécoute aujourd’hui la voix puissante, chaude, magnifique du regretté Damien Ricour qui nous avait fait l’amitié d'enregistrer ce texte pour nous.
Le spectacle avait reçu un bel accueil à Paris, et le père Stalla-Bourdillon, prêtre de la paroisse Sainte Clotilde, la « paroisse des politiques », située à quelques centaines de mètres de l’Assemblée Nationale, m’avait dit le soir de la première, à l’instar de plusieurs spectateurs : « Il faudrait qu’« ils » viennent voir ce spectacle ».
« Ils » n’étaient pas venus.
Bien sûr, cela n’aurait pas changé le monde. « Ils » avaient autre chose à faire, c’est sûr.
Mais tout de même.
« Ils » n’étaient pas venus.
Nous vous souhaitons le meilleur Noël possible, et une belle année 2019, tournée vers la vie. Tournée vers la vie. Tournée vers la Vie.
Le Sablier
En cadeau de Noël, nous vous proposons quelques extraits du livre Il est permis d’espérer, de Vaclav Havel (Calmann-Lévy), un auteur qu’on n’entend plus guère et que le monde serait bien inspiré d’écouter aujourd’hui. La voie d’une réelle universalité ne réside pas dans le compromis entre diverses altérités contemporaines, mais dans la recherche commune de l’expérience commune la plus fondamentale que l’homme a de l’univers et de lui-même en son sein. S’il (l’homme) ne tire pas les leçons de notre expérience qui nous a montré où mène son orgueil lorsqu’il invente des utopies rationnelles pour créer un paradis sur terre, et s’il continue dans sa vision anthropocentrique du globe, il lui en coûtera cher, à lui et au reste de la planète. Si la prospérité de sa société de consommation continue à lui importer plus que tous les fondements de cette prospérité, il ne tardera pas à la perdre elle aussi. N’oublions pas de penser l’Être. |
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